CIRCULATION(S) 9ÈME ÉDITION
- Eric Poulhe
- 10 mai 2019
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 avr. 2023
CENTQUATRE, PARIS
20 avril 2019 – 30 juin 2019

Au sein du festival, la parole et les actes des photographes demeurent au centre du propos. Ils nous indiquent la voie à suivre, ce qui émerge de manière concrète. Ce souci d’horizontalité et d’auto-organisation immunise le festival de tout risque de déviation autoritaire. Dans la volonté de transformation générale de la société, le fonctionnement institutionnel de l’art et de la photographie ne relève pas de l’anecdote. Dans l’organisation même du festival, le refus de l’autorité postule la suppression de la distinction entre « penseurs » et « exécutants » passifs, appelle et soutient les initiatives de tous, des techniciens aux bénévoles. L’autonomie des participants portée par des principes collectifs, des valeurs, et peut-être, des idéaux va à l’encontre du fonctionnement de nombreux festivals. Aux limites néo-libérales ou bureaucratiques qui se sont imposées dans la sphère culturelle s’opposent la capacité d’imagination du collectif, le rejet de la compétition et de la domination au sein de cette modeste expérience. […]
Circulation(s) est ce que devrait être tout organisme culturel, un objet de citoyenneté. On ne résume pas une manifestation de ce type par la simple présentation « d’œuvres ». Ce festival se veut avant tout une mise à disposition de sens, c’est-à-dire le réel analysé et disséqué. En cela, ce moment qui apparaît précoce au Printemps ne sera jamais institutionnalisé. Il le souhaiterait qu’il se détruirait car l’évènement dépasse en lui-même l’idée de festival. Il génère, dans un temps court, une logique de l’action dont la nature se construit épisode après épisode, se libérant de la tradition festivalière. Il faudra qu’il s’en dégage encore en acceptant les tensions historiques. Cette volonté sécessionniste la conduira à mettre à mal les conceptions dominantes participant ainsi, à sa mesure, à refuser le présent imposé.
The Red Eye Audrey Hoareau et François Cheval
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
Pour sa neuvième édition, le festival photographique « Circulation(s) » a pris ses quartiers dans le 19ème arrondissement de Paris, au Centquatre, un lieu de vie atypique qui offre des espaces aux pratiques artistiques libres comme la danse ou les arts du spectacle de rue. Véritable scène de la création artistique contemporaine, « Circulation(s) » présente le travail de trente-huit jeunes talents venus de dix-huit pays européens. Vingt-six sont présentés au Centquatre, et deux artistes sont exposés hors les murs à la gare de Paris-Est par SNCF Gares et Connexions.
Des animations sont organisées autour de l’exposition : des visites guidées, des lectures de portfolios, un atelier « ados », une « masterclass » ainsi qu’un cycle de conférences. Tous les week-ends, il est également possible de se faire photographier dans un studio photo, seul, en famille ou entre amis, par un photographe professionnel qui remettra à l’issue de la séance un tirage signé. Les enfants, nombreux à fréquenter le Centquatre, ne sont pas oubliés. L’espace « Little Circulation(s) », dédié gratuitement à ce jeune public, présente les séries de l’exposition principale, dans une scénographie adaptée notamment à leur hauteur, avec un livret-jeux disponible pour accompagner la visite.
Pour la 9ème édition, le festival s’articule autour de cinq thèmes et d’un focus sur la Roumanie qui s’inscrit dans la saison France-Roumanie. Chaque thème a son propre espace d’exposition.
Toutes les salles d’exposition sont situées autour de la halle Aubervilliers, un bel espace lumineux sous une verrière, accessible gratuitement. De grands panneaux présentent le travail de chaque artiste de la thématique « Le destin posthume des images ». Hélène Bellenger choisit de se réapproprier les techniques de maquillage des années 1920 à 1930. Philippe Braqueriez questionne la rapidité des avancées technologiques et le futur dans un monde des données et du tout numérique.
L’atelier 2 accueille le plus grand nombre d’artistes sur le thème du corps et des souffrances, « Peut-on élever un monument à sa propre douleur ? ». Brigit Püve tente de lier l’essence de l’Estonie en création d’une nouvelle identité depuis le départ des dernières troupes soviétiques, au visage de ses citoyens. Avec sa série « Forme et fonction », Chloe Rosser examine la relation au corps humain. Les corps des personnes de sexe, d'âge, de sexualité, de forme corporelle et de couleur de peau différents sont nus sous un aspect contorsionné, presque inhumain qui interpelle le visiteur.
Dans la continuité de l’atelier 2, se trouve l’atelier 0 qui propose un focus sur la Roumanie. Ioana Cîrlig réalise un projet documentaire à long terme sur la vie quotidienne dans les communautés mono-industrielles roumaines avec des images dramatiques montrant une classe ouvrière à la dérive.
De l’autre côté de la halle, l’atelier 1 est consacré au thème « Le paysage photographique : entre constat et néo-romantisme ». Jaakko Kahilaniemi montre les forêts de Finlande qui composent 71,6% de la surface du pays à travers les 100 hectares qu’il possède. Il recompose ses images en ajoutant à ses photos en noir et blanc, des graphismes en rouge, qui renforce la dramaturgie du décor panoramique. Au contraire, Anna Cherednikova s’intéresse au plus petit, au détail. Fascinée par les mauvaises herbes, elle photographie à Arles, celles qui grandissent entre les pierres, dans des lieux où rien ne devrait pousser, mais qui résistent et fleurissent.
Par un couloir « exposition », on rejoint l’atelier 3 et sa thématique « Le territoire, des signes et des identités ». Les travaux de Rubén Martín de Lucas et de Douglas Mandry sont étonnants car ils apportent un regard différent sur un territoire, géométrique pour le premier, ou recolorisé pour le second. Rubén Martín de Lucas photographie sous deux angles, à la verticale ou en perspective fuyante, un micro-territoire aux frontières géométriques avec un seul habitant, l’artiste lui-même. À partir de photos en noir et blanc, Douglas Mandry colore et colle ses clichés afin de montrer une nouvelle représentation du décor tel qu’il l’imagine.
Enfin, l’atelier 5 « Les Heures d’un monde mal en point » est dédié à la narration à travers des histoires particulières. Emile Ducke réalise un surprenant reportage sur le Saint Lukas, un des cinq trains médicaux financés par le gouvernement, qui se rend dans les villes reculées de la Russie. À son bord, des cabinets médicaux avec dix-sept médecins et leurs assistants, un laboratoire d’analyses sanguines, des appareils d’échographie, d’imagerie cérébrale (EEG) et d'électrocardiographie, mais aussi un wagon-cathédrale. Avec ses deux séries réalisées à vingt ans d’écart, Margaret Mitchell s’interroge sur les opportunités de la vie dans un milieu socio-économique difficile d’Ecosse, et des destins qui semblent déjà scellés. La série « Family (1994) » présente la vie quotidienne de sa sœur, aujourd’hui décédée, et de ses trois enfants Steven, Kellie et Chick, désormais adultes et parents à leur tour, dont on voit leur évolution et leur situation actuelle dans la série « In This Place (2016-2017) ».
Au-delà d’un festival photographique traditionnel accessible au plus grand nombre, « Circulation(s) » met en scène une photographie contemporaine quelque fois très conceptuelle. Il suffit de lire l’éditorial d’Audrey Hoareau et de François Cheval, The Red Eye, pour s’en rendre compte. Chacun se fera son propre jugement et appréciera les œuvres exposées, avant de remettre son bulletin de vote du, ou de la photographe, préféré(e).
E.P.
#EdAlcock #PhilippeBraquenier #HélèneBellenger #AnnaCherednikova #IoanaCîrlig #UmbertoCoa #MarilisaCosello #IvanDaSilva #UllaDeventer #EmileDucke #MathieuFarcy #MaksimFinogeev #PippaHealy #MorvaridK #JaakkoKahilaniemi #LukaKhabelashvili #MarineLanier #CaterinaLorenzetti #DouglasMandry #RubénMartínDeLucas #NelsonMiranda #MargaretMitchell #AnastasiaMityukova #SinaNiemeyer #DinaOganova #PrunePhi #BirgitPüve #ChloeRosser #LukaszRusznica #FeliciaSimion #MihaiŞovaiala #HoraţiuŞovaiala #YorgosYatromanolakis
















Commentaires