LUIGI GHIRRI ▪ CARTES ET TERRITOIRES
- Eric Poulhe
- 2 mai 2019
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2023
JEU DE PAUME, PARIS
12 février 2019 – 2 juin 2019

Cette première rétrospective des photographies de Luigi Ghirri (1943-1992) hors de son Italie natale est centrée sur les années 1970. Elle retrace une décennie au cours de laquelle Ghirri a bâti un corpus d’images en couleur sans équivalent dans l’Europe de l’époque.
Géomètre de formation, Luigi Ghirri commence à photographier durant le week-end au début des années 1970, arpentant les rues, places et faubourgs de Modène, échafaudant des projets et des thématiques. Il pose sur les signes du monde extérieur un regard attentionné et affectueux en observant, sans les commenter ouvertement, les modifications apportées par l’homme au paysage et à l’habitat de sa province d’origine, l’Émilie-Romagne, baromètre d’un vernaculaire local exposé à l’avènement de nouvelles formes d’habitat, de loisirs et de publicité.
« Je m’intéresse à l’architecture éphémère, à l’univers de la province, aux objets considérés comme de mauvais goût, kitsch, mais qui, pour moi, ne l’ont jamais été, aux objets chargés de désirs, de rêves, de souvenirs collectifs […] fenêtres, miroirs, étoiles, palmiers, atlas, globes, livres, musées et êtres humains vus par l’image. »
À la fin de cette décennie, Luigi Ghirri a accumulé des milliers de vues et élaboré un style singulier et un cadre conceptuel complexe pour présenter son travail. Cette première décennie culmine avec deux temps forts : la publication, en 1978, de Kodachrome, un ouvrage photographique véritablement exceptionnel, et une exposition majeure, « Vera Fotografia », qui se tiendra en 1979 au centre d’exposition de l’Université de Parme, organisée par Arturo Carlo Quintavalle et Massimo Mussini et qui, à travers quatorze projets et thèmes, retrace le mode de pensée et d’action propre à Luigi Ghirri.
« Cartes et territoires » reprend la cartographie poétique de l’exposition de 1979 où l’on trouvait à la fois des projets très cadrés comme Atlante (1973), constitué de photographies de pages d’atlas, et Colazione sull’erba (1972-1974), où l’artiste observe l’interface entre artifice et nature dans les petits jardins de Modène, et des groupes plus diversifiés comme Diaframma 11, 1/125, luce naturale (1970-1979), qui portent sur la façon dont les gens photographient et sont photographiés, ou le paysage des signes de l’Italie provinciale dans Italia ailati et Vedute (1970-1979).
Luigi Ghirri éprouve une fascination indéfectible pour les représentations du monde, pour les reproductions, images, affiches, maquettes et cartes et pour la façon dont ces représentations s’insèrent dans le monde, en tant que signes au sein de la ville ou du paysage.
La médiation de l’expérience par l’image dans une Italie partagée entre ancien et nouveau a constitué, pour Luigi Ghirri, une source inépuisable d’étude, « une grande aventure dans le monde de la pensée et du regard, un grand jouet magique qui réussit à faire coïncider miraculeusement notre connaissance adulte et le fabuleux monde de l’enfance, un voyage continu dans le grand et le petit, dans les variations à travers le règne des illusions et des apparences, des labyrinthes et des miroirs, de la multitude et de la simulation. »
James Lingwood, commissaire
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Commentaire ♥♥♥♥♥
Le Jeu de Paume présente une rétrospective du photographe italien Luigi Ghirri en se focalisant sur la décennie des années 1970.
Géomètre de formation, Luigi Ghirri commence à faire de la photo le week-end quand il ne travaille pas. D’emblée il réalise des photographies en couleur, contrairement à la photo en noir et blanc considérée par les bien-pensants comme plus sérieuse et plus artistique. Lui, aborde la photographie avec modestie et en couleur, car il considère que le monde réel est en couleur. Il n’est pas un professionnel de la photographie et fait réaliser ses tirages dans un laboratoire grand public de Modène où il vit et travaille.
Luigi Ghirri porte son regard sur le monde qui l’entoure en s’intéressant aux modifications de l’homme sur le paysage et l’habitat. Les images qu’il réalise semblent empruntées de simplicité et de banalité. En fait, à y regarder de plus près, c’est tout le contraire. Les compositions rigoureusement soignées, jouent avec des géométries naturelles qu’il trouve dans l’environnement qu’il croise. Fort de ses nombreuses années d’exercice de la profession de géomètre, il dispose d’un regard aiguisé permettant d’évaluer les distances, de marquer les points de fuite, d’équilibrer les volumes et les surfaces.
Luigi Ghirri photographie très peu de personnages, et quand il le fait, les sujets sont pris généralement de dos. Il se place alors dans leur même axe de vision, s’intéressant autant au personnage qu’à son action ou sujet qu’il regarde.
En 1973, alors qu’il abandonne son métier de géomètre pour se consacrer à plein temps à celui de photographe, le néo-photographe professionnel réalise le projet Atlante [Atlas]. Il zoome avec un objectif de macrophotographie les pages d’un atlas afin de saisir des détails de déserts, d’océans ou d’archipels. Toujours attiré par les cartes, enfant, il aimait feuilleter les pages d’un atlas lui évoquant des lieux lointains. Pour lui, le voyage s’effectue aussi par l’image. Cette œuvre est décisive pour Luigi Ghirri car elle est un contrepoint poétique de son travail réalisé en environnement urbain.
Jeux de miroirs, fresques murales associées au paysage réel, cadre dans le cadre, perspectives tronquées, Luigi Ghirri aime jouer avec tous ces éléments pour faire lâcher prise le spectateur.
Sa carrière de photographe à plein temps sera finalement assez courte. Il meurt prématurément en 1992 à l’âge de quarante-neuf ans.
E.P.





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