PETER HUJAR ▪ SPEED OF LIFE
- Eric Poulhe
- 2 nov. 2019
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2023
JEU DE PAUME, PARIS
15 octobre 2019 - 19 janvier 2020

La vie et les images de Peter Hujar (1934-1987) sont inséparables de la ville de New York. Indépendant par nature, volontiers combatif, cultivé et très bien introduit dans le milieu artistique, Hujar évoluait au sein d'une scène avant-gardiste faite de danseurs, de musiciens, de plasticiens et de travestis. Son accomplissement en tant que photographe fut contemporain de l’évolution et de la visibilité du mode de vie gay entre 1969 — date des émeutes de Stonewall — et la crise du sida dans les années 1980.
À l’issue de ses études secondaires en 1953 – et jusqu’en 1968 –, Hujar travaille comme assistant auprès de divers photographes publicitaires. Cinq années passées à collaborer à des magazines grand public le convainquent qu’une carrière de photographe de mode « n’est pas pour [lui] ». En 1973, il préfère alors mener une « vie d'artiste », qui lui permet une plus grande liberté dans son travail de photographe. Dans le loft-studio qu’il occupe au-dessus d’un théâtre de l’East Village (au sud de Manhattan), Hujar braque son objectif sur ceux qui suivent leur instinct créatif et refusent les succès faciles. De ses photographies, il disait qu’elles sont « des images simples et directes de sujets difficiles et compliqués » ; elles immortalisent des instants, des êtres et des pratiques culturelles dont l’existence est aussi fugitive que celle de la vie.
En 1981, Hujar a une brève liaison avec le jeune artiste David Wojnarowicz, avec qui il parcourt les quartiers délabrés de New York. La ville qu’il a photographié à cette période, est un petit monde vibrant d’une intense énergie créatrice, qui a depuis disparu. Peter Hujar meurt en novembre 1987 d’une pneumonie liée au sida.
« Peter Hujar : Speed of Life (la vie à toute vitesse) » présente une sélection d’environ 140 photographies de cet artiste particulièrement important et influent. L’exposition suit le parcours d’Hujar, depuis ses débuts au milieu des années 1950, jusqu’aux années 1980 où il est l’un des acteurs importants de la scène artistique de l’East Village. Organisée en deux parties, elle décline tous les différents aspects de sa pratique photographique marquée par la même beauté austère : le portrait en atelier, généralement posé, et qui constitue le cœur de sa pratique, mais également le nu, notamment masculin, et le paysage urbain de New York et de ses environs. Résolument noir et blanc, l’ensemble non seulement décrit l’univers intime de Peter Hujar mais également esquisse un portrait du New York bohème et underground de ces années-là, à travers quelques-unes de ses figures les plus marquantes.
Librement inspirée par l’accrochage de la dernière exposition new yorkaise qu’Hujar eu de son vivant, en 1986, à la Gracie Mansion Gallery, la deuxième partie mêle ces différentes thématiques en insistant sur la continuité stylistique qui unit ces images, par-delà leurs sujets.
Joel Smith, commissaire
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
Le photographe américain Peter Hujar a démarré sa carrière dans la mode auprès de divers photographes publicitaires, mais à l’aube des années 1970, il comprend que le métier de photographe de mode n’est pas fait pour lui. Très introduit dans le milieu des artistes, il s’intéresse aux professionnels de la scène avant-gardiste danseurs, musiciens, artistes visuels ou travestis.
Il sera un témoin privilégié de la population Gay de New York particulièrement touchée par le sida dans les années 1980. Il décèdera lui-même en 1987 d’une pneumonie liée à cette maladie.
Le portrait est au centre de l’œuvre de Peter Hujar. Dans son studio au-dessus d’un théâtre de l’East Village au sud de Manhattan, il photographie l’intimité de sujets d’une extrême sensibilité qui s’aventurent jusqu’à l’extrême, voire la mort comme Candy Darling photographiée sur son lit de mort en 1973. La plupart de ses modèles ne sont pas connus, mais ils montrent tous une grande force de caractère.
La plupart des clichés sont posés avec une collaboration étroite entre le photographe et le modèle qui se met en scène devant l’objectif. Certains comme Cockette John Rothermell ou Beauregard se déguisaient ou utilisaient des accessoires. D’autres se dévoilent dans leur plus simple appareil et expriment leur personnalité par la posture ou l’expression du visage.
Le corps nu est une grande source d’inspiration pour Peter Hujar qui pense que le corps en dit autant que le visage. A l’inverse de ce que l’on a l’habitude de représenter en nu, la plupart de ses modèles sont des hommes. Il ne veut pas présenter des corps idéalisés. Il les photographie sous toutes leurs formes, jeunes ou vieux, lisses ou marqués, dans des positions naturelles ou au contraire sophistiquée comme les images de Gary Schneider en contorsion. Ces derniers clichés réalisés en 1979 renvoient d’ailleurs de manière étonnante à ceux présentés, au festival Circulation(s) 2018 au Centquatre, par la jeune photographe Chloe Rosser qui quelque part s’inscrit dans son héritage.
Peter Hujar a vécu toute sa vie à New York qu’il a photographié quand il ne travaillait pas dans son studio. Il s’intéresse au graphisme des gratte-ciels ainsi qu’aux quartiers en friche qu’il arpente la nuit ou à la tombée de la nuit. A contrario de ses photos en studio, l’humain y est totalement absent, l’ambiance prenant le dessus sur le sujet proprement dit.
Le dernier espace de l’exposition est une réplique d’une frise de soixante-dix photographies qu’il avait présentée en janvier 1986 à la galerie Gracie Mansion. À l’époque il avait passé des jours à choisir et organiser ses clichés jusqu’à supprimer toute logique de série. La scénographie de cette dernière salle est un bon condensé de son œuvre illustrant toute sa créativité et la sensibilité qu’il exprimait dans ses images.
E.P.





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