SEBASTIAN COPELAND ▪ DE PÔLE EN PÔLE : UN MONDE QUI DISPARAIT
- Eric Poulhe
- 30 déc. 2018
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2023
GRILLES DU JARDIN DU LUXEMBOURG, PARIS
15 septembre 2018 – 13 janvier 2019

Pour le simple observateur, la banquise n’est probablement qu’un univers immaculé, dénué de vie. Se limitant à l’étendue du ciel et de la glace, sa monotonie peut paraître écrasante. Mais la glace est une entité puissante, vivante et dynamique, réagissant aux influences de la gravitation comme à de minimes modifications de température. Même âgée de trois millions d’années, sa masse varie constamment et imperceptiblement. Au moment du vêlage, lors de la formation des icebergs, elle entre dans la dernière phase de sa transformation, reprenant sa forme originale, l’état liquide. Les Inuits possèdent des centaines de mots pour décrire sa texture, tandis que son aspect peut présenter d’infinies variations constamment changeantes. J’ai parcouru à pied 8.000 kilomètres de ce royaume, à travers l’océan Arctique, le Groenland et l’Antarctique. Et bien que cela puisse paraître surprenant, je dois dire que deux journées n’y sont jamais visuellement semblables. Au plus profond du cœur de la banquise, ce sont les changements subtils de la couverture nuageuse qui procurent d’uniques opportunités au photographe. La faible hauteur du soleil combinée à la réduction du spectre lumineux due à la prédominance de l’eau – liquide et cristallisée – crée un environnement monochromatique de lumière froide et blanche et d’ombres bleutées. Parfois, les seuls détails visibles sont les traces laissées par le vent sur la glace, ou les nuages dans le ciel. La glace marine se dilate et se contracte suivant le cycle des saisons. Tels de grands poumons terrestres, elle exerce une influence rafraîchissante sur les basses latitudes. Mais ce rythme est en train de s’essouffler. La glace est la première ligne de défense d’un monde qui se réchauffe, et son déclin est l’évidence irréfutable de la modification du climat. La température globale s’est accrue de 1°Cpar rapport à 1880, un réchauffement dix fois plus rapide que durant les 65 millions d’années précédentes. Les raisons sont bien connues. Sans engagements immédiats et globaux, nous atteindrons une hausse de 5°Cou plus d’ici un siècle, menaçant tout organisme terrestre tout en redessinant la carte des océans. Le temps que j’ai passé dans les hautes latitudes m’a donné une meilleure perception des changements subtils que provoque le réchauffement. La photographie est un véritable outil de mesure quand elle relie le cœur à l’esprit. Mon travail a pour ambition de créer un inventaire émotionnel du passage du temps. Comme un message dans une bouteille jetée à la mer, il est là pour nous rappeler que, tout lointain et exotique qu’il soit, ce monde en voie de disparition est aussi notre demeure. Et les images que je rapporte de la glace qui pleure avant de mourir racontent l’histoire d’un environnement qui nous ressemble : opiniâtre, fragile et éphémère.
Sebastian Copeland
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
L’exposition « de pôle en pôle : un monde qui disparait », présentée sur les grilles du jardin du Luxembourg, est la plus grande rétrospective photographique de l’explorateur Sebastian Copeland. 80 clichés emblématiques résument vingt années d’expéditions dans les zones polaires de l’Arctique, de l’Antarctique et du Groenland.
Les clichés présentés, d’une beauté graphique exceptionnelle, présentent des images de paysages, de faune et de flore dans un environnement extrême. La présence humaine est totalement absente, éventuellement aperçue ou suggérée comme la photo prise sur le brise-glace, de celle des skis sur la banquise, ou des vingt-trois passagers de l’Ice Lady Patagonia rassemblés sur un morceau de banquise pour dessiner un SOS.
Les images, comme celles des icebergs, donnent une impression de sérénité absolue, mais ce n’est qu’apparent. La plupart d’entre elles ont été réalisées dans des conditions très difficiles, le froid, la tempête, les risques avec la faune sauvage. Le résultat n’en est que plus estimable. Eblouissant ! Les photos ont été exposées dans un ordre faisant appel à l’émotion croissante, de manière à aborder le sujet de la dégradation des pôles et de ses conséquences comme la montée des eaux, la pollution, la raréfaction des ressources, le déclin de certaines espèces, le déséquilibre de la chaine alimentaire…
L’approche photographique de Sebastian Copeland va donc au-delà de présenter de belles images. C’est surtout un témoignage pour figer des images de glace avant qu’elles ne disparaissent, et pour dénoncer le bouleversement climatique d’un monde qui disparait. En ce sens, Sebastian Copeland est un explorateur photo-reporter militant, défenseur de la planète. Il se définit d’ailleurs comme « l’avocat des Pôles ».
A titre personnel, j’ai été très touché par ses images, car elles me renvoient à ma propre expérience du monde polaire que j’ai côtoyé au cours d’une randonnée en kayak au Svalbard au milieu des glaciers. Les conditions étaient sans aucune comparaison avec celles extrêmes rencontrées par l’explorateur. Toutefois, de manière identique, j’ai pu ressentir certaines émotions équivalentes à celle de l’explorateur : ce sentiment à la fois de vulnérabilité et de sérénité pendant la navigation en kayak au milieu des icebergs ou devant le front des glaciers. Ces rencontres fabuleuses avec la faune encore préservée, les sternes arctiques, un jeune renard polaire pendant un tour de garde et même l’ours polaire venu se prélasser sur la toundra.
A observer les passants qui ralentissent le pas et se laissent transporter par l’image, cette exposition est remarquable et ne peut laisser indifférent, que le spectateur soit là par hasard ou qu’il soit venu exprès.
E.P.





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